10 ans déjà - Le droit au logement opposable n'a pas insuflé une politique du logement abordable

Publié le par CNL-Nanterre

Valérie Liquet 6-03-17

La loi instituant le droit au logement opposable a été promulguée le 5 mars 2007. Grâce à elle, 123.600 ménages ont retrouvé un logement. Le comité de suivi Dalo et le ministère du Logement et de l'Habitat durable ont organisé, le 1er mars à la Maison des Métallos (Paris), une journée consacrée à son 10e anniversaire. Tous les intervenants, parmi lesquels Emmanuelle Cosse et Marie-Arlette Carlotti, se sont réjouis de sa naissance. Et tous ont regretté son "ineffectivité" en appelant à "ne rien lâcher" pour que le logement abordable devienne une priorité nationale. Localtis fête à sa manière ce 10e anniversaire en proposant à ses lecteurs une sélection d'une trentaine d'articles publiés depuis 2007.

"Droit au logement opposable : un projet de loi en préparation", titrait un article de Localtis du 3 janvier 2007. D'autres ont suivi, dont nous vous proposons une sélection (ci-dessous) pour retracer les 10 ans de la loi du 5 mars 2007 "instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale", sous gouvernement Villepin. Dix ans où l'espoir a succédé assez vite à la déception, l'inquiétude, la colère, les demandes de rappel à la loi, la dénonciation des manques : manque de transparence, manque d'efficacité, manque de mobilisation des collectivités locales...
Le Dalo devait permettre aux personnes mal logées, ou ayant attendu en vain un logement social pendant un délai "anormalement long" (voir ci-dessous notre encadré "Les 7 critères pour être reconnu Dalo"), de faire valoir leur droit à un logement décent ou à un hébergement (selon les cas) si elles ne peuvent l’obtenir par leurs propres moyens. Parce qu'il est "opposable", le citoyen dispose de voies de recours pour obtenir sa mise en œuvre effective. L’Etat est garant de ce droit et doit faire reloger ou héberger les personnes reconnues prioritaires. C’est le préfet de département qui mobilise les organismes de logements sociaux ou les structures d’hébergement pour reloger ou héberger les personnes.

Dans l'esprit de la loi, l'Etat serait contraint de chercher à éradiquer le mal-logement

Donner un toit aux sans domicile fixe et aux mal-logés était le tout premier objet de la loi. Mais "l'esprit de la loi", c'était aussi l'idée qu'en instituant l'Etat garant du droit au logement opposable, il serait contraint par la loi de déployer des politiques publiques ambitieuses pour lutter contre le mal-logement (prévention des expulsions, lutte contre l'insalubrité...) et en faveur de l'habitat abordable (construction de logements très sociaux, aides à la mobilisation du parc privé...) C'était logique, mais ce n'est pas ce qui s'est passé. L'effet levier n'a pas fonctionné.
Comme Christophe Robert, délégué général de la Fondation Abbé Pierre, Emmanuelle Cosse constate que "la mise en œuvre du Dalo n'a pas été doublée d'une politique de logement abordable" ainsi que l'avaient anticipé les parlementaires. "Le droit au logement opposable ne produit pas de logements", ajoute la ministre. Pas plus qu'il n'a favorisé le respect de l'article 55 de la loi SRU, qu'il n'a encouragé la lutte contre l'habitat indigne ou la prévention des expulsions. Il n'y a pas eu de politique globale et ce sera sans doute, à écouter les orateurs de la Maison des Métallos fêtant le 1er mars le 10e anniversaire de la loi, le cap le plus difficile à maintenir. A moins que le droit au logement ne soit étouffé par les mauvaises volontés locales et le "renoncement" ambiant à s'attaquer aux phénomènes de pauvreté, ainsi que le ressent la Fondation Abbé Pierre.
"Il ne faut rien lâcher", a déclaré Emmanuelle Cosse. Car "la lutte est longue pour obtenir l'effectivité d'un droit obtenu il y a 10 ans", a rappelé Marie-Arlette Carlotti, présidente du Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées (HCLPD) pour qui "le respect de la personne humaine ne se négocie pas". Selon l'ex-ministre déléguée en charge de la Lutte contre l'exclusion, "tous les problèmes sont surmontables si nous restons mobilisés".

Des bailleurs et des communes "peu accueillants"

Depuis sa mise en œuvre en 2008, la loi a tout de même permis à 123.600 ménages de retrouver un logement, selon le ministère. Mais près de 60.000 ménages reconnus "Dalo" sont en attente. Certains de ces "naufragés du Dalo" le sont depuis plus de 6 ans.
Le dernier rapport du Haut Comité, remis en décembre 2016 par sa présidente, estime que le Dalo est aujourd'hui victime d'une "interprétation de plus en plus restrictive". Le taux de décision favorable est "en chute libre" : de 44.9 % 2008 (correspondant à 32.473 ménages), il a atteint 28.63% en 2015 (25.593). Il est de plus "extrêmement hétérogène" selon les départements, allant de 14% (Bas-Rhin) à 64.3% (Landes) en 2015.
Le 1er mars, Marie-Arlette Carlotti a rapporté que "certains bailleurs sociaux ont des pratiques un peu sélectives". De même, que des élus locaux – "un petit nombre", précise-t-elle - s'avèrent "extrêmement créatifs pour accueillir le moins possible de personnes en grande difficulté". Des élus qui par ailleurs, quand ils siègent au Parlement, sont capables de déployer beaucoup d'éloquence pour défendre le droit au logement...

Les collectivités : "maillon manquant" du relogement ?

Selon Hélène Sainte-Marie, directrice de projet à la DHUP (Direction de l'habitat de l'urbanisme et des paysages, ministère du Logement), les collectivités locales sont très vite apparues comme le "maillon manquant" du relogement. Considérant que c'était l'Etat qui était "garant" du droit, elles ne se seraient pas senties concernées. "Localement, le maire est considéré comme l'unique maître à bord des attributions", regrette Hélène Sainte-Marie, "c'est une tradition que même la loi Alur n'avait pas osé bousculer".
La loi Egalité et Citoyenneté du 27 janvier 2017 aurait ainsi "mis un pied dans la fourmilière" en affirmant notamment la gouvernance des attributions à l'échelle intercommunale. Le pilotage intercommunal permet aussi, rappelle Hélène Sainte-Marie, d'élargir le territoire d'accueil et "d'avancer vers la fongibilité des différents contingents", se félicite-t-elle.
Pour rappel, la loi Egalité et Citoyenneté pose le principe que tous les bailleurs et les réservataires du logement social - et pas seulement l’Etat - doivent contribuer au logement des ménages prioritaires. Ils doivent désormais contribuer au logement des personnes défavorisées en consacrant au moins 25% de leurs attributions d’abord aux ménages bénéficiant du Dalo et ensuite aux ménages prioritaires.

"Est-ce qu'il y a encore du monde dans les préfectures pour faire le travail ?"

L'Etat aussi en a pris pour son grade, ce 1er mars. "Est-ce qu'il y a encore du monde dans les préfectures pour faire le travail ?", a lancé Michèle Attar, provoquant un mouvement de contestation dans une salle composée pour partie de représentants de l'Etat en région. "Tous les bailleurs franciliens vous le diront : les préfectures ne nous envoient pas de dossiers Dalo", assure la directrice générale de Toit et Joie, également membre du HCLPD. Plus précisément, son organisme HLM, qui compte un parc de 13.800 logements dans 74 communes d’Ile-de-France, aurait reçu 87 dossiers en 2015 et 105 en 2016.
Michèle Attar dénonce également le fait que "l'instruction des dossiers est sous-traitée", avec non seulement un risque "d'abattage" ("je ne sais pas comment on fait du bon boulot en traitant 200 dossiers par jour"), mais aussi une interrogation sur les compétences des sociétés et associations sélectionnées.
Mais le plus gros "disfonctionnement" apparaît, selon elle, quand il s'agit de rapprocher les dossiers Dalo de l'offre de logements. Il n'y a pas corrélation. Le diagnostic est connu : le parc social manque cruellement de PLAI et de grandes surfaces (et a fortiori de grandes surfaces en PLAI). Michèle Attar s'élève alors contre le fait qu'après un refus de logement, le ménage est automatiquement sorti du circuit, même s'il a refusé, ainsi qu'elle a pu le constater lors de l'élaboration du rapport d'évaluation du Dalo par le Haut Comité, "une maison de garde-forestier, située à 15 km du centre-ville, sans école, sans moyen de transport..." Tollé dans la salle. "On ne peut pas laisser dire des choses pareil sur l'Etat !", lance un participant. Plusieurs présidents de Comed (commission de médiation) prendront ensuite la parole pour témoigner de leur impartialité et de leur bonne relation avec l'Etat. L'un d'entre eux accusera même Christophe Robert de "fantasmer" lorsqu'il dénonce "la tentation de hiérarchiser" les demandeurs Dalo.

"Pour celui-ci, il n'y a pas d'urgence : il est accueilli chez des amis..."

Le délégué général de la Fondation Abbé Pierre avait ironisé, en tribune, sur les critères hors la loi retenus par les commissions : "en même temps, il n'a pas de papiers...", "pour celui-ci, il n'y a pas d'urgence : il est accueilli chez des amis...", "celui-là est déjà en hébergement collectif...", "ce SDF n'a pas fait une demande de logement social depuis assez longtemps..." Bref, séparer les "bons pauvres" des "mauvais". Selon lui, il faut "re-politiser le débat" face au "risque d'institutionnalisation du dispositif", car "sinon on trouvera toujours les bonnes raisons pour pratiquer la lutte des places".
Si le dispositif Dalo est loin d'être efficient, ce serait donc "la faute à tout le monde et à personne" ?, était-on tenté de croire en sortant, ce 1er mars, de la Maison des Métallos. "Le droit au logement opposable sera toujours un combat", avait déclaré comme d'autres Bernard Lacharme, président de l'Association Dalo. Rappelant que le gouvernement avait hésité à mettre le projet de loi à l'ordre du jour de l'agenda parlementaire - "attendez que l'on ait construit suffisamment de logements avant de le rendre abordable !" – il s'interroge : "Que ce serait-il passé si on avait effectivement attendu ?" Dans son esprit, pas de doute : la situation serait pire encore.

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